Les gens actifs #1 Ghislain Maetz

13/09/2016


La semaine dernière, je suis allée passer cinq jours sur le chantier participatif des futurs locaux de l’entreprise Terre Crue, à Saint Germain sur Ille près de Rennes. Créée par Ghislain Maetz en 2013 et Fleur Ouertal sa compagne, l’entreprise qui compte aujourd’hui trois salariés voit son activité prendre de l’ampleur dans la restauration de longères traditionnelles bretonnes en bauge. La bauge est une des techniques de mise en œuvre de la terre crue. Je vous invite à fouiller leur page facebook pour y trouver des vidéos de chantier.
J’ai posé quelques questions à Ghislain pour qu’il nous présente sa vision du métier de maçon en terre crue et les valeurs de leur entreprise.


Comment es–tu arrivé à travailler la terre ? Pourquoi ce matériau ?

Ghislain : Je n’ai aucun diplôme de maçonnerie, je suis venue à la terre par curiosité, en faisant des travaux chez des gens, parce que les murs en terre me fascinaient.

Tu n’es pas originaire de Bretagne, qu’est-ce qui t’as fait venir dans le bassin Rennais ?

Ghislain : J’étais en région parisienne et j’ai fait un stage chez Tiez Briezh. J’y ai croisé un artisan maçon en terre chez qui il m’intéressait de travailler.

Tu as collaboré avec différentes personnes, quand as-tu décidé de monter ta propre entreprise ?

Ghislain : Il m’a presque fallu dix ans avant de créer ma boite, avant, je n’étais pas sûr de moi. Au début, j’étais travailleur occasionnel du bâtiment. On s’est mis en duo avec Pierre Fouchard. Terre mère marchait relativement bien. Pierre m’a appris à me vendre, je ne savais pas du tout le faire. Puis on s’est séparé et j’ai rejoint Grégory Bosi pour un temps. C’est Fleur qui était dernière moi et m’a dit « monte ta boite ! » et voilà. C’est grâce à elle, sinon je serai toujours auto-entrepreneur.

Vous l’avez créée ensemble ? 

Fleur : Oui,  j'ai été artisane de 1998 à 2004. En 2013, j'étais agent de bibliothèque à mi-temps. Monter un projet, j’adore ça. Je connaissais les démarches pour s’inscrire, ce qu’il fallait mettre en avant auprès du banquier, ce qu’était le montage financier, qui est-ce qui fallait aller voir. J’allais épauler Gislain et lui comptait sur moi pour l’épauler.
Très vite, j'ai décidé de quitter mon poste pour continuer de m'investir dans l'entreprise. 

Quelles sont les qualités de la bauge ? Ses failles ?

Ghislain : Ce que j’aime dans la bauge, c’est la manière de construire, complète au niveau des gestes à accomplir. On doit cueillir la terre, la ramasser, l’emmener. On utilise tout son corps sans force.
Et elle est remplie de défauts, elle est imparfaite. Quand je restaure une maison, ce que j’aime ce sont ses défauts.

" Il y a beaucoup d’échanges, on a le temps de discuter. On s’amuse à ranger les adobes, on se les envoie. On ne peut pas s’envoyer des parpaings ! "



Quelle importance a le patrimoine pour toi ?

Ghislain : Je dis souvent qu’on est des enfants de la restauration du patrimoine. Pour nous c’est difficile de rentrer dans le monde de la construction. 
La rencontre avec Amélie Le Paih (architecte spécialisée dans la construction en terre crue) est intéressante. Elle nous a donné les ficelles par rapport aux contraintes administratives dans la construction. Les lois sont compliquées, il faut déposer des permis, des déclarations préalables…

Quel effet ça fait d’intervenir sur et dans de l’ancien ? Chez les gens ?

Ghislain : On ne fait pas que de la maçonnerie, on va plus loin. On accompagne les gens vers quelque chose de plus profond parce qu’intervenir chez eux remue des choses. Je dis souvent que ce n’est pas nous qui travaillions la terre, c’est la terre qui nous travaille. 
Les gens sont heureux de nous voir et il y a un petit pincement au cœur quand on s’en va. Quand un chantier s’est bien passé, c’est ça que l’on retient.

" Si chaque année, l’activité augmente c’est parce qu’on a osé "


Tu crée du lien et des rencontres !

Ghislain : Oui ! L’été dernier j’ai travaillé pour un client que je sentais très exigeant, j’avais peur de me faire avoir mais finalement, on a travaillé et on s’est appréciés. C’est chouette, on crée du lien.
Seul, la technique de la bauge peut paraître pharaonique. Quand on arrive à l’apprivoiser en collectif sur le chantier, c’est possible. Il y a beaucoup d’échanges, on a le temps de discuter. On s’amuse à ranger les adobes, on se les envoie. On ne peut pas s’envoyer des parpaings ! (rires)
Au niveau de la construction, ça apporte quelque chose de collectif comme on pourrait voir dans une tribu ancestrale, ça rassemble.

Fleur : C’est familial. Il y a eu des chantiers participatifs chez des clients, où les gamins viennent, il n’y a pas de danger à laisser approcher les enfants, c’est un matériau qui ne fait pas peur. 
Ca façonne tout notre environnement proche. Les gens sont curieux de ce que fait Ghislain et de ce qui nous fait vivre. Je ne connais pas un seul de nos proches qui soit reparti avec un avis négatif après être venu mettre les mains dans la terre.


L’esprit d’équipe c’est important sur un chantier ?

Ghislain : Clairement ! Je m’applique à ce que l’équipe s’entende même si les gens viennent de milieux différents, faut que ça le fasse. C’est important que l’équipe se sente bien, que l’on puisse avoir confiance, qu’ils reconnaissent mon travail aussi. Mon métier devient complexe avec la gestion de l’entreprise, la fatigue… 

" Je valorise le social et une construction qui consomme peu d’énergie "


Qu’est-ce que tu trouves le plus difficile dans ton travail ?

Ghislain : Je dirais que c’est la même chose, la gestion de l’équipe. C’est de plus en plus difficile pour moi d’être vraiment présent. Le chantier participatif demande une telle concentration que j’en viens à anticiper deux, trois jours de boulot. C’est dommage parce que je ne suis pas assez dans le temps présent. 
Construire ses locaux en terre, c’est le doux rêve de n’importe quel maçon. Mais si chaque année, l’activité augmente c’est parce qu’on a osé, on a tenté d'aller jusque là, ce ne sont pas que des paroles, on l’a fait.

Fleur : En fait, ça  prend de l’ampleur sans qu’on s’en rende compte. Au départ on pensait que Gislain mettait juste en place son outil de travail, que ça allait faire vivre la famille et qu’il voulait des locaux en terre pour son entreprise. Ce sont les autres qui  portent un regard sur ce que l’on vit et ce que l’on fait, « quand même, vous n’arrêtez jamais ! » Ce sont des moments très denses, très fatigants mais c’est aussi des moments très riches qui ne vont pas se représenter.

Tu fais aussi du neuf, la construction en bauge se développe? L'image qu'ont les gens de la terre est-elle en train de changer?

Ghislain : Si je bâtis en terre c’est vraiment parce que je pense que ça peut se développer. Les grosses contraintes viennent de la législation qui amène un coût superflu. 
Les thermiciens valorisent une maison facile à chauffer mais la chasse aux ponts thermiques, c’est impossible ! Ca amène toujours des bricolages avec des matériaux qui ne vont pas durer longtemps.
Je valorise plutôt le social et une construction qui consomme peu d’énergie plutôt qu’une maison couteuse en énergie pour sa mise en œuvre pour qu’elle n’en consomme pas une fois construite.

En plus la terre présente plusieurs avantages thermiques !

Ghislain : La terre n’est pas reconnue. On veut la classer dans les isolants mais c’est toujours un peu flou. Pour moi c’est un multi matériau.
Il n’y ’a pas forcément besoin de VMC ou de systèmes complexes. Son inertie et son effusivité permettent d’avoir des maisons agréables, plus faciles à chauffer.

" Je fais travailler du monde en mettant du sens dans l’entreprise "


La terre, c’est une recherche perpétuelle, où vas-tu chercher tes inspirations ? 

Ghislain : C’est des choses simples. J’observe le moindre détail, les gestes, les outils, la méthode dans les vidéos, le patrimoine, chez d’autres professions. Le lancé de fourche s’inspire par exemple des couvreurs avec leurs lancés d’ardoises.

Fleur : Ca rappelle que tout est lié à l’humain, dans le sud les tuiles étaient façonnées sur la cuisse !

Pour conclure est-ce que tu dirais que ton travail contribue à créer des bâtiments passifs ? Et des gens actifs ? (habitants mais aussi ouvriers, artisans)

Ghislain : Ce que je peux dire, c’est que je fais travailler du monde en mettant du sens dans l’entreprise en portant l’attention sur l’humain plutôt que sur les machines. La terre ne demande pas beaucoup d’énergie mécanique. Elle n’a pas à être fabriquée, elle existe déjà et elle est extraite localement. Et puis ça peut être utilisé et réutilisé. Un jour, un voisin m’a appelé après avoir descendu une de ses cloisons en terre pour me demander conseil sur la façon de reboucher les trous. Je lui ai répondu, « t’as plus qu’à remonter la terre dans la pièce, tu l’as remouille et puis c’est reparti ! »


Pour en savoir plus :
Les plans des futurs locaux ont été dessinés par Amélie le Paih de l’atelier ALP : http://www.atelier-alp.bzh/
Tout savoir sur la terre crue, Craterre à Grenoble : http://www.craterre.org/


Les photos ont été prises sur le chantier participatif, merci de les utiliser avec un lien vers cet article.


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